Le propos ici n’est
pas de dire si Tariq Ramadan est innocent ou coupable ou que tout est blanc ou
noir au tableau, mais de s’interroger sur la posture que l’on doit adopter sur
l’œuvre de l’homme, de ses combats, de ses propositions, de sa contribution intellectuelle,
philosophique, religieuse et politique quelle que soit l’issue de cette affaire
touchant une personnalité aussi éminente que celui du Professeur Tariq Ramadan.
Aujourd’hui, comme
hier, l’emballement médiatique raffole de Tariq Ramadan, en long en large et
surtout en travers, tels des paparazzis déchainés à la poursuite de clichés à l’emporte-pièce.
Le moindre début de soupçon, de mensonge ou de calomnie, est relayé
mécaniquement par tous les canaux de communication et d’information destinés à
forger de manière industrielle les opinions de la masse. Rien sur cette homme n’a
été épargné, son intimité comme sa vie publique sont assassinées froidement
sans que la présomption d’innocence soit respecté, sans le début du
commencement d’un procès équitable.
Ses détracteurs qui
ne supportent pas l’homme, qui à lui tout seul, est la synthèse de la vision
politique et religieuse moderne de l’Islam, lui vouent plus de haine qu’autre
chose. La stratégie a consisté pendant longtemps à l’accuser d’avoir un double discourt, mais
malheureusement pour eux, cela n’a eu aucune prise. Face à l’échec de la première
stratégie, voilà les mêmes qui l’accusent d’avoir une double vie, une double personnalité,
un double visage… Comme si les accusateurs, eux, avaient le monopole de l’authenticité,
de la sincérité et de la sainteté absolue !
Résister à
l’épreuve du temps sans se trahir dans l’intime relève du domaine des cieux, là
où les anges sont dispensés de la morale et de la vertu qui sont des attribues
sur-mesure pour des êtres qui doivent composer avec la chair de leurs désirs.
La complexité d’un
homme réside à la marge de son œuvre, de sa pensée, de ses combats et de sa
vie. Cette part infime qui le caractérise est nul doute l’ADN de son ombre.
Chercher à le comprendre c’est vouloir percer le mystère de l’alchimiste en
plein désert. La nature de l’homme est en soi un défi, un ensemble de problèmes
défiant l’intelligence. Ses nuances et son existence sont , par essence,
contradiction entre l’idéal de la lumière et la réalité de l’ombre. Il y a
entre les deux aucune place à la raison logique. Ce qui nourrit l’âme est du
ressort de l’esprit, de la foi idéal, alors que ce qui nourrit le cœur est
enclin à la saveur souvent amère.
Bien souvent
l’homme lui-même croit se connaitre, alors qu’en réalité, il ne connait que la duplicité
de ses penchants, de ses désirs où il doit se formuler des conclusions relatives
ou étayer des ébauches de son miroir par des arguments philosophiques, religieux et
politiques impliquant des théories alternatives et concurrentes, propres à leur
auteur, que l’on promeut et qu’on rejette pour des raisons qu’à nouveau on
soumet aux circonstances du moment ou à l’humeur du présent. L’homme se fait
une raison pour la défaire et la refaire jusqu’à se perdre en soi avant de
comprendre qu’il n’y a rien à comprendre sur ses choix divergents que les
saints hypocrites désignent et estampillent une personnalité, un discourt ou
une œuvre d’hypocrisie.
Du point de vu de
la plèbe, les sensibilités de l’époque amènent à jeter le bébé avec l’eau du
bain, il faut croire que la modernité et la mondialisation pénétrante dans les
sphères de la vie, ne tolère aucun regard sur soi et encore moins une prise de
hauteur pour ne garder que le meilleur, voir la synthèse des lègues que nous
font les artistes et les intellectuels qui pour créer ou révéler la richesse de
leur talent se consument eux même dans la folie de l’entre soi riche en contradiction.
Si l’on devait rejeter tous les œuvres des intellectuelles et des artistiques à
la lumière de leur mœurs et de leur personnalité, alors on serait forcé de
constater qu’il faut un buché à la taille de l’humanité! Car chacun est un
combustible né, que le temps fragilise au point de le rendre plus inflammable
que jamais tant la faiblesse est la caractéristique intrinsèque de l’humain.
Accepter l’œuvre comme
une création et un héritage intellectuel malgré les dissonances de l’auteur, c’est
la même chose que de reconnaitre la grandeur d’une civilisation, d’une nation,
d’une histoire au-delà même des périodes sombres et des zones troubles qui le
caractérise au présent. De la même manière, doit-on se désintéresser des œuvres
de Céline, de Nietzche, de Jean-Jacques Rousseau, de Martin
Heidegger, de Sigmund
Freud, de Georg Lukacs, de Jules Ferry, de Althusser, de
Voltaire et bien d’autre sommité parce que leur mœurs, leurs actes, leurs prises
de position et leurs combats étaient incohérent avec les canons de la droiture,
de la vertu religieuse ou laïque ? Evidemment que non, le monde serait bien pauvre !
Je ne connais pas d’œuvre écrite ou peinte par des anges mais seulement par des
humains dont le droit à la faute est sa nature! Il est capital de distinguer
l’œuvre d’un artiste ou d’un intellectuel, de sa vie, de ses choix et de son
passé qui eux relèvent de l’intime et du privé. La part d’ombre de chacun donne
le niveau d’acidité qui fait d’eux des iconoclastes échappant à leur
temps. Il est facile, de condamner,
de s’improviser en juge, en inquisiteur de la morale, de la bienséance et de la
bienpensante, mais les nuances qui nous constituent sont le propre de nos identités
uniques.
Les dénonciations
convergentes rendues possibles par le #Metoo ou le #Balancetonporc fait de vous
une ampoule qui peut griller à tout instant avec les dommages collatéraux que
l’on connait. Pis encore, est coupable aussi celui qui ose pleurer votre sort
avant même le début d’un jugement. La présomption d’innocence est à géométrie
variable selon votre rang, votre origine, vos opinions politiques ou
religieuses, selon votre niveau d’islamité et de visibilité. La justice est un
idéal qui depuis longtemps a perdu sa virginité sous la toc des magistrats à la
duplicité assumée, sous la pression de l’opinion publique et médiatique.
Interrogeons-nous, quel aurait été notre vie intime et publique si
nous étions à leur place ? Quel serait notre rapport à la foi ? à
Allah ? aux autres ? La notoriété nous aurait-elle fait abuser de notre pouvoir ? Aurions-nous extorqué des faveurs sexuelles, des intérêts
lucratifs ? … Aujourd’hui, sur une simple dénonciation fondée ou infondée
n’importe qui peut tomber quand bien même le temps judiciaire démontrerait
votre innocence. Le mal serait déjà fait et l’image à jamais écornée.
Soyons clair la vie
intime de Tariq Ramadan ne nous intéresse pas, si défaillance il y a, c’est entre lui et Allah uniquement. Si le
but de certain est de ternir l’image du professeur en portant atteinte à sa vie
privé et à son intimité pour nous
détourner de ses écrits et de sa voix, de ses combats… ce n’est que peine
perdue. Les accusations opportunistes ou pas d’ailleurs visent quoi en réalité ?
à démonter qu’il y a eu des viols ou bien des relations extraconjugaux ?
Le premier acte d’accusation relève de
la justice pour peu qu’elle soit impartiale on peut espérer que la vérité
triomphera très rapidement et que justice sera rendu dans un sens comme dans l’autre.
Le deuxième acte d’accusation implicite lui relève non plus de la justice d’un
pays comme la France aux mœurs libertines mais pose un problème de crédibilité
religieuse en terme de notoriété et d’autorité au sein même de la communauté
musulmane, c’est du ressort de la jurisprudence islamique et de la Charia… La
validité des œuvres des thèses d’un philosophe n’est pas compromise par
l’incapacité de leurs auteurs à les avoir respectées eux-mêmes. Parce que ces
disciplines tendent à porter un message vers l’objectivité et vers l’universalité
pour élever la pensée indépendamment de la nature qui la produite.
Tariq Ramadan est
un cas atypique, car à lui seule il est le révélateur d’un emballement « politico-médiatique »
sur fond d’un pseudo scandale « théologico-politique » malgré que
les combats et les causes qu’il défend s’inscrivent pleinement dans la ligné
des penseurs universels. Les musulmans pour certains sont pris entre deux feux
avec une interrogation simple : Comment concilier notre embarras moral avec notre jugement éthique que la
temporalité des médias nous imposent et martèlent sans cesse ? Surtout lorsque
l’on décrypte en filigrane que finalement ce n’est pas tellement l’homme que l’on
veut abattre mais bien l’Islam visible des musulmans qui brillent par leur
intelligence et attirent la lumière sur eux. Cela se résume bien souvent à
faire le procès de l’Islam et des musulmans, que l’on sert de soupe à longueur
de temps dans les médias pour surfer sur les ondes islamophobes très porteur en
ces temps de populisme exacerbé en France et en Europe.
Cette ambiance
nous révèle la volonté politique et médiatique de vouloir tuer l’image et le
symbole que représente Tariq Ramadan dans ce dernier quart de siècle. Il n’a
échappé à personne, que sa détention et son traitement injuste comparé à d’autre
sur des affaires similaires n’a qu’un but qui est d’abattre l’homme, le
résistant, la voix des sans voix, l’esprit critique d’un Islam décomplexé de la
joute coloniale ou du complexe d’infériorité ou de la posture victimaire. L’affirmation
de la présence musulmane visible assumant ses valeurs et son identité islamique
n’est pas du goût de tout le monde. Etre un citoyen musulman en France ou en Europe
suppose pour certains que le musulman doit s’assimiler, se fondre dans la
masse, raser les murs et se dés-islamiser pour devenir une coquille vidée de
sa substance spirituelle à l’image des chrétiens et des juifs en terme de
pratique concernant la majorité. Tariq Ramadan a ce talent dans ses livres
comme dans ses interventions médiatiques de ramener les débats et les excès des
uns et des autres vers une approche équilibrée pour tendre vers le juste milieu où l’intérêt suprême des
minorités doit être protéger par la justice et l’égalité que la majorité
possède. Son obsession a toujours été pour celles et ceux qui l’ont côtoyé la Justice
avec un rappel à chacun du droit et du devoir qu’il incombe à tous.
Tuer Tariq Ramadan
intellectuellement, ils ne l’ont pas réussi vu le génie de l’homme, mais le tuer
médiatiquement de manière ponctuelle et temporaire, probablement que cette dernière cible est d’actualité.
R.A