S’il y a un chantier dans lequel les musulmans en France et en Europe de manière générale sont absents, voir quasi inexistant c’est bien le domaine du syndicalisme. Il n’y a pas de syndicat musulman à l’image des syndicats de sensibilité chrétienne, laïque, communiste ou athée... même si individuellement il y a des musulmans qui sont syndiqués à la CFDT, à FO, SUD, CGT,… il n’y a pas de syndicat avec une identité et une sensibilité islamique pour défendre des intérêts communs au sein de la société, dans un monde où l’économie et la spéculation financière sont des fins en soi, pendant que le bien être et les droits de l’individu sont relayés dans l’arrière cours des attentions politiques et patronales.
Dans un monde où le consumérisme est devenu une religion qui ne porte pas son nom, plus que jamais les musulmans ont un devoir de proposer et d’imaginer des alternatives qui peuvent découler d’une réflexion profonde basée sur les principes de l’Islam afin de contribuer positivement au sein de la société. Très peu de musulmans sont syndiqués voire ne s’intéressent pas ou sont ignorants de l’intérêt sociétal d’une telle organisation. Pourtant à bien y réfléchir c’est un champ d’expression qui correspond complètement aux aspirations et aux valeurs que les musulmans doivent défendre en terme de justice et d’égalité sociale.
L'action militante est la base du syndicalisme, chaque musulman par définition et par nature est enclin à être un militant de la justice pour tous et de la défense des plus faibles qui pourraient être abusées moralement, socialement, psychologiquement ou physiquement. Le syndicalisme est le mouvement qui vise à unifier les travailleurs dans des organisations pour défendre leurs intérêts communs ; hausse des salaires, meilleures conditions de travail, lutte contre le licenciement, respect de la dignité humaine …. La seule forme et tentative de syndicalisme représentée dans l’espace politico sociale de sensibilité islamique est l’EMF (Etudiant Musulman de France). En dehors de cela il n’y pas d’organisation syndicale avec une éthique musulmane forte qui soit en mesure de se faire entendre dans une société en perpétuelle mutation où les enjeux et les orientations sont étroitement liés aux forces présentes et structurées. Il faut que les musulmans investissent dans la création d’organisations patronales afin que l’on ait une vraie alternative de modèle et que l’on devienne une vraie force de proposition dans l’approche des problématiques d’organisation, de relation entre les patrons et les salariés.
Il y a des thèmes et des défis que nous ne pouvons pas régler tant que l’on se fera défendre par des organismes qui ne comprennent pas nos motivations et nos sensibilités. Si nous avions des syndicats musulmans assez forts dans la société, les problèmes tels que le voile, la viande hallal dans les cantines, le droit à la reconnaissance officielle des deux jours de fête musulmane, le droit à des espaces de recueillement pendant les poses de travail, les problèmes de racisme, de discrimination et d’islamophobie, pourraient être traités avec plus d’efficacité dans le respect des droits du pays dans lequel nous vivons, en accompagnant le débat dans la société. Il y a des revendications qui doivent être proposées et discutées mais cela ne peut ce faire uniquement si nous avons un réel poids dans la société au niveau du travail aussi bien dans le privé que dans le public.
Avec l’augmentation de la présence musulmane et le mouvement de sédentarisation de nos parents nous sommes en mesure d’accompagner et de provoquer une adaptation du discours et des pratiques syndicales en référence à nos convictions de droit universel que l’islam nous a inculqué. En toute logique il y a de nouvelles demandes d'ordre culturel dans l'entreprise, le temps où l’islam ne se pratiquait que dans les caves est en phase d’être révolu.
Aujourd’hui nous devons créer un ou des syndicats musulmans qui pourront traduire le fruit de mutations progressives dans le monde du travail en français. Il faut être en mesure de réfléchir et de proposer une synthèse entre : Islam privé des syndicalistes de culture musulmane, islam mobilisateur des leaders syndicalo-religieux et islam tranquille de la plupart des travailleurs, plusieurs secteurs comme le bâtiment ou l’industrie automobile peuvent être propices à créer les premiers syndicats de sensibilité musulmane.
Le temps est venu d’affirmer dans tous les domaines de la société, que nous sommes des musulmans français ou français musulmans pour ceux qui voudraient jouer avec les mots. L'islam doit nous permettre de constituer un nouveau langage dans l'espace et le temps industriels par la visibilité qu'il a acquise depuis l’arrivée de nos parents.
Aujourd’hui, malheureusement, la pensée islamique contemporaine est très ignorante ou absent du débat des questions du travail. Un voyage dans les pays du golf suffit pour voir les carences en matière de droit des ouvriers et de leur autorisation à se mobiliser pour dénoncer les injustices inacceptables. La diabolisation du mouvement syndical dans nos pays d’origines, a laissé le champ libre aux communistes dans les pays musulmans jusqu’à hier, aujourd’hui ce sont les intégristes laïques qui se sont appropriés ces fonctions. Jusqu’à présent, le modèle syndical dominant est celui qui a été importé de l’occident dans les pays majoritairement musulman, en oubliant la nécessité de l’adapter à la société musulmane; or comment représenter véritablement les ouvriers en négligeant leur caractéristique la plus importante, ce qui fait leur fierté c’est-à-dire l’islam. Le syndicalisme se fonde en réalité sur des valeurs que l’islam encourage telles que : les valeurs de solidarité, de partage, de défense des faibles, etc.
Le syndicalisme de sensibilité Islamique structurée qui peut naître aujourd’hui en France et Europe, grâce à des agrégats d’expériences des militants musulmans, actifs dans chaque pays européen peut être un véritable signal pour les musulmans du monde entier où les régimes en place manipulent ou contrôlent les forces vives. Le modèle de syndicat de sensibilité islamique défend la valeur du travail bien fait, comme activité enrichissant l’esprit et la personnalité, et en même temps la glorification de Dieu. Le travail est adoration en Islam si le but et l’intention sont de vivre en accord avec l’essence de l’Islam et de plaire à Allah. Une telle conception fait du travailleur musulman un travailleur apprécié par les patrons, et crée ainsi un terrain d’entente sur lequel ouvriers et patrons se rencontrent, au delà de tout esprit d’hostilité.
Le syndicalisme de sensibilité Islamique s’oppose à la fois à l’exploitation capitaliste (occident), et à l’oppression communiste (en Russie et en Chine), au matérialisme (dominant dans le syndicalisme occidental et oriental), et au totalitarisme (dominant dans le syndicalisme communiste). Il prend la défense des travailleurs, en se fondant sur l’idéal de justice de l’islam, dans un esprit d’entraide et de valorisation du travail. De ce point de vue, il a valeur universelle.
R.A